« Integrating feminist approaches to evaluation – lessons learned from an Indian experience »

Dans cet article, Rajib Nandi et Rituu B. Nanda promeuvent l’idée que l’évaluation féministe peut permettre de déconstruire la nature des inégalités sociales et de genre. L’évaluation féministe peut réellement influencer les politiques ayant pour objectif la disparition des inégalités de genre. Ce document met en lumière les discussions et les leçons apprises d’un programme de quatre ans de renforcement des capacités en évaluation féministe qui a eu lieu en Inde.

L’élaboration d’une politique de genre par le biais de l’évaluation : historique et objectifs

Le genre dans les politiques et la planification

Travailler avec des « lunettes » genre et équité dans le domaine de l’évaluation peut réellement contribuer à améliorer les politiques et les programmes de développement. Cependant, cela est souvent perçu comme un simple discours politique. Le onzième plan adopté par le gouvernement indien a adopté des « lunettes » genre pour initier un processus d’amélioration dans la vie des femmes et des enfants. Mais les résultats montrent que même si dans certains secteurs, des progrès certains ont été observés, d’autres secteurs sont laissés de côté. C’est pourquoi, lors de la formulation du douzième plan, la coalition créée par les organisations de la société civile (OSC) et la commission de planification a été renforcée. Le PNUD a soutenu un processus de facilitation qui permettait aux femmes et aux hommes de communautés marginalisées d’avoir l’occasion d’exprimer leur opinion sur des questions clés du développement.

L’idée de ce douzième plan est de briser le cercle vicieux des multiples privations que subissent les filles et les femmes en raison de la discrimination de genre et la sous-nutrition.

La reconnaissance par le gouvernement de ces problématiques a permis d’ouvrir le dialogue sur les évaluations sensibles au genre. Une réunion des agences d’évaluation et des agences de mise en œuvre du Programme d’appui à la formation et à l’emploi pour les femmes (STEP) a été organisée en mai 2011 pour la première fois depuis le début du programme en 1986. Grâce à un processus de transparence renforcé, de nombreux développement sont possibles. Ce fut le cas de certaines femmes qui ont combattu des discriminations basées sur le genre grâce à la loi sur le droit à l’information.

L’importance du renforcement des capacités d’évaluation en Inde

De nombreux évaluateurs internationaux et de nombreuses évaluatrices internationales sont aujourd’hui présent-e-s en Inde. Cependant, un grand nombre d’évaluateurs et d’évaluatrices  estime que la capacité d’évaluation locale est faible, ce qui signifie que même si davantage d’évaluations sont commandées localement, la qualité des prestations réalisées n’est pas à la hauteur.

Les partisan-e-s de l’évaluation sensible au genre considèrent l’évaluation comme une activité politique et l’utilisent dans un processus de changement. Du fait d’une forte attention sur l’évaluation féministe, une consultation sur le genre et l’évaluation participative a été organisée par l’ISST en août 2010 à New Delhi. Il existe jusqu’alors peu d’écrits sur les outils et les méthodologies qui permettent des pratiques en matière de genre ou qui permettent d’analyser les différences entre une évaluation sensible au genre et une qui ne l’est pas.

Les objectifs du programme

L’ISST a donc dessiné les contours d’un programme de quatre ans (2011-2015) afin de répondre à un besoin croissant de transparence et de redevabilité des managers de projets et du gouvernement ainsi que d’intérêt croissant pour l’évaluation. L’ISST a coordonné ce programme, « Engendering Policy through Evaluation: Uncovering Exclusion, Challenging Inequities ». L’objectif global du programme était de renforcer la compréhension des implications du genre dans les politiques et les programmes et de permettre la formulation d’approches sensibles au genre. Une attention particulière a été portée à l’évaluation de certaines problématiques comme l’éducation, la santé, la gouvernance et les moyens d’existence. Parmi les objectifs spécifiques, mentionnons le renforcement de la capacité d’évaluation dans une perspective féministe et l’élargissement de la recherche et de l’enquête sur les avantages d’une telle démarche. Ce programme souhaite contribuer au développement de de l’évaluation féministe et à la création d’un réseau de professionnel-le-s de ce domaine.

Principales activités et réalisations

Au cours de ces quatre années, le programme a permis la création d’un fort réseau d’individus et d’organisations motivé-e-s par ces problématiques. Depuis les débuts du programme, la transmission de savoirs a été une composante clé. L’activité de création de réseau s’est effectuée grâce à un groupe Google d’évaluation féministe, plus précisément une communauté de pratique interactive en ligne sur le genre et l’évaluation qui regroupe aujourd’hui pas moins de 3000 personnes. Une page Facebook et un compte Twitter ont également participé au partage des connaissances.

L’activité de renforcement de capacités et de création de savoirs sur l’évaluation féministe s’est matérialisée au travers de six ateliers de travail, de onze allocations de recherche et de participation aux séminaires internationaux. La production de savoirs au travers de ces processus a été diffusée sous forme d’ouvrages, de vidéos, etc.

Analyse

Une grande diversité de parties prenantes a été mise à contribution au cours de ces quatre années.

Des praticien-ne-s avec des compétences avancées voire très avancées dans des domaines aussi variés que les sciences sociales, la gestion, le droit, ont été envoyées par leurs organisations. Néanmoins, leur connaissance en termes d’évaluation était rudimentaire. Le programme a contribué à l’appropriation de l’évaluation par les organisations, cela leur a permis de réfléchir à l’évaluation de leur travail, à la création d’une « culture de l’évaluation » dans leurs organisations et à mettre en avant les dynamiques de genre de celles-ci.

Les objectifs que les organisations sont venus chercher dans ce programme sont l’amélioration et le renforcement de leurs capacités. De manière globale, les organisations de ce type font appel à des tiers pour la réalisation de leurs évaluations. L’engagement fourni ici est précieux pour une analyse continue du travail et afin d’intégrer les concepts féministes de l’évaluation aux organisations. Les ateliers de renforcement des capacités ont permis aux praticiens et praticiennes du développement de mieux comprendre et mesurer les processus de changement et de réfléchir sur leurs propres expériences. Les chercheurs et chercheuses de niveau débutant ont apprécié la capacité de mener des travaux et la possibilité d’assister et de présenter des résultats à des conférences internationales grâce aux subventions de recherche. Les chercheurs et chercheuses plus seniors, qui avaient entrepris des méta-évaluations de haut niveau des programmes phares nationaux, ont reçu un soutien pour la réalisation et la publication des travaux dans un volume édité, qui a ensuite été publié lors d’un séminaire politique.

Les praticien-ne-s de l’évaluation, en particulier celles et ceux qui ont été actifs et actives dans le domaine de l’évaluation générale, ont eu des réponses mitigées. Certain-e-s ont expliqué que la réflexion et la recherche conduite avec leur participation leur a permis de mieux intégrer les problématiques féministes dans leurs programmes. D’autres ont expliqué qu’ils ou elles n’arrivaient pas à appliquer les principes de l’évaluation féministe en pratique.

Durabilité du programme

Les capacités en ressources humaines ont été renforcées grâce à ce programme aussi bien au niveau individuel qu’organisationnel. Le programme a également permis un nombre d’engagements avec les représentant-e-s du gouvernement national en ce qui concerne l’importance de l’évaluation féministe et sexo-spéficique de programmes.

Conclusion et recommandations

Le programme a fourni une nouvelle façon de voir comment rendre l’évaluation sensible au genre. C’est un défi extrêmement complexe, et l’introduction d’une perspective de transformation du genre dans la conception et la mise en œuvre d’un programme, même au niveau organisationnel, sera lente et difficile. De nombreux praticiens et de nombreuses praticiennes ont mis en pratique ce qu’ils et elles avaient appris durant ces quatre années, en adaptant parfois les terminologies en fonction des publics. La communauté en ligne a été extrêmement bénéfique et a rencontré beaucoup de succès.

Néanmoins, une question pratique s’est posée. L’évaluation féministe est-elle une méthodologie à part entière ou bien est-ce un état d’esprit à utiliser dans l’examen de n’importe quel projet, programme ou autre ? La complexification des productions lors des évaluations avec une « lentille féministe » a été l’une des limites évoquées par certain-e-s participant-e-s.

Ce qui est ressorti de ces quatre années est que l’évaluation féministe s’inscrit dans une structure plus large de la politique féministe qui tente simplement d’apporter l’égalité. Cette préoccupation a permis au groupe de nommer les pratiques d’évaluation féministes. De nombreux et nombreuses participant-e-s ont en effet évoqué cette envie d’accéder à davantage d’égalité et que les connaissances féministes en matière d’évaluation doivent dépasser le cadre de l’évaluation pour atteindre un public plus large. Les participant-e-s ont alors décidé de réaliser une boite à outils facile d’utilisation dans l’optique de renforcer les capacités des praticien-ne-s du développement et du personnel en charge des questions de suivi-évaluation. Ils et elles ont également suggéré que la communauté de pratique puisse faciliter la création d’un espace où les gens pourront interagir, débattre, discuter et partager leurs connaissances.

Une série de recommandations a été formulée par les participant-e-s à la fin du programme, comme le fait de continuer à organiser des ateliers sur ces questions, à publier des notes d’orientation et à publier dans des revues réputées et des volumes édités afin de documenter le processus de changement que l’évaluation féministe a créé. Il était également recommandé de trouver des moyens d’accroître la visibilité du groupe d’évaluatrices féministes en Inde. Une autre recommandation était de s’efforcer d’intégrer une évaluation axée sur l’équité et tenant compte des sexospécificités aux méthodes d’évaluation classiques telles que l’évaluation axée sur l’utilisation ou l’évaluation d’impact.